Article sur "Marianne."

Marianne consacre un dossier, dans son dernier numéro, à la résistible ou irrésistible ascension, l'histoire choisira son adjectif, de Marine Le Pen. Un dossier qui va de la page 23 à la page 47, bien construit, bien fait, informatif. Sauf, sauf, sauf...

Le statut des papiers n'est pas égal. Une analyse éditorialisé de Jean-François Kahn, chaos à droite et panique à gauche pour décrire le bouleversement du paysage politique, plus un papier talentueux de Judith Perrignon, qui en a reçu beaucoup lors du partage, du talent, sur « l'itinéraire d'une ennemie redoutable », c'est-à-dire Marine Le Pen soi même.

Au milieu de cet ensemble d'une qualité certaine, figure un papier dont le contenu vaut qu'on s'y arrête. De la page 34 à 39, deux journalistes, Philippe Cohen et Laureline Dupont, racontent « A Montretout, les réunions du cabinet secret de Marine Le Pen. »

L'article peut être lu à deux niveaux. Le premier est factuel. Une équipe secrète, elle ne l'est plus, se réunit au domicile de Marine Le Pen, et non au siège du parti, pour élaborer avec elle le programme de la future candidate à l'élection présidentielle.

Le second niveau est plus intéressant. A première vue, on le qualifierait d'idéologique. En réalité, il est manipulatoire, tant le journalisme est ici utilisé à des fins partisanes d'autant plus drôle à dévoiler que les auteurs eux mêmes cherchent à toute force à les dissimuler.

Résumons le papier, en veillant bien à ne pas le caricaturer. L'équipe secrète de Marine Le Pen est de gauche. Voilà le fond de la révélation qui semble avoir ébloui les deux journalistes. Sur tous les sujets, le rôle de l'Etat, la fiscalité, les questions sociales et sociétales, cette équipe secrète de Marine Le Pen qui est de gauche parvient à souffler des réponses de gauche à Marine Le Pen qui ainsi, au terme du papier, n'apparait plus du tout comme la présidente d'extrême droite d'un parti qui l'est aussi, d'extrême droite, mais comme une femme qui vire sec à gauche, ce qui laisse tout de même le lecteur comme deux ronds de flanc, parce qu'il faut bien avouer que le virage n'est pas perceptible au premier coup d'oeil.

Dans le schéma intellectuel que brosse le papier, et dont semble se dégage parfois quelques bouffées de la moquette qui se consume sous les pieds des deux journalistes, Marine Le Pen n'apparait pas de n'importe quelle gauche. Pas de la gauche libérale, non, mais de la vraie gauche, la seule qui vaille, la gauche française, c'est-à-dire la gauche chevènementiste.

En effet, ce « cabinet secret » qui ne l'est plus est truffé de personnages présentés tous comme plus intelligents les uns que les autres, et qui pratiquement tous ont accompagné, à un moment ou à un autre, Jean-Pierre Chevènement dans son parcours politique. Et visiblement, cette gauche là se trouve bien aujourd'hui, très bien même, avec la présidente du Front national.

Ajoutons pour être complet sur ce point que l'un des deux auteurs du papier, Philippe Cohen, fut lui même un compagnon de route du « Che ». Ainsi, il semble au travers de son papier à la fois nous donner des nouvelles de ses amis, ce qu'ils deviennent ses copains d'avant, et aussi nous avertir de son prochain passage au Front national.

Tout à leur démonstration, mais oui Marine Le Pen est de gauche, on vous jure, allez encore un petit verre, j'ai soif, les deux journalistes négligent dans leur démonstration quelques aspects doctrinaires de la chef de gauche du parti d'extrême droite. Par exemple, rien ou presque sur la préférence nationale, axe cardinal du programme du Front national, et des déclinaisons possibles de ce principe, donc rien ou presque sur l'analyse de l'immigration en France, ce qui rapporté à l'identité du Front national relève tout de même de l'impasse colossale.

D'ailleurs, les deux auteurs deviennent très curieusement imprécis au seul moment du papier où une allusion est faite sur le sujet. L'extrait qui suit est à la fois imprécis sur le fond, et factuellement faux:

En revanche, sa sortie sur Europe 1, proposant de repousser les candidats à l'immigration du monde arabe dans les eaux territoriales, « spontanée », a suscité des troubles dans la « seconde équipe » ce qui l'a obligée ensuite à corriger le tir.

Ce passage, curieusement rédigé, indique donc que la sortie de Marine Le Pen sur « l'imigration du monde arabe » était « spontanée ». Bof, bof... Marine Le Pen a toujours présenté l'immigration comme une « invasion », une « déferlante » qui « submerge » la France. Sa proposition de repousser les bateaux des migrants dans les eaux internationales découle logiquement de cette vision des choses. Autrement dit, elle est la chaînon d'un raisonnement, c'est-à-dire l'inverse de quelque chose de spontané.

Qu'a dit exactement Marine Le Pen? Ceci, lors de sa visite au Salon de l'agriculture, ainsi que le rapporte une dépêche AFP datée du 25 février et éditée à 17h16, en réponse à un journaliste qui l'interrogeait sur les Tunisiens cherchant à fuir leur pays:

« L'union européenne est totalement impuissante à nous protéger, il faut passer un accord bilatéral avec l'Espagne et avec l'Italie pour permettre à nos marine de préserver nos eaux territoriales et repousser dans les eaux internationales les migrants qui voudraient entrer en Europe. »

Et loin de « corriger le tir », elle a confirmé son souhait les marines nationales repousser les bateaux des migrants vers les eaux internationales. C'était sur RTL, le 1° mars dernier, et non sur Europe1 comme l'indiquent les auteurs qui montrent bien qu'ils n'ont pas accordé plus d'importance que cela à une problématique, le traitement de l'immigration par Marine Le Pen, qui soit les indiffère, soit les dérange.

Le but de ce papier est assez simple. Marine Le Pen n'est pas celle que vous croyez, Marine Le Pen est une femme en pleine évolution, Marine Le Pen, écoutez cela, lecteurs de Marianne, l'hebdomadaire de la vraie gauche, est comme vous, comme nous. Ce papier est, au choix, un papier de dévoilement, un papier de blanchiment, ou bien encore un papier d'illuminés.

Ce papier, puisque nous en parlons, a-t-il fait débat au sein de Marianne? A-t-il posé un problème? Ou bien est-il apparu comme bienvenu? Juste? Si salutairement en rupture avec la pensée unique? Ce papier serait-il annonciateur d'une ligne nouvelle de l'hebdomadaire fondé par Jean-François Kahn, une ligne que l'on pourrait appeler la ligne « Marianne Le Pen »? Réponse à suivre...