"Un livre sur sa face cachée."

Caroline Fourest et Fiammetta Venner ont enquêté sur Marine Le Pen. « Elle navigue à vue comme son père, selon les vents porteurs » .

UNE SCÈNE, UN TRAUMATISME aurait dès l’enfance soudé la fille au père. Le 2 novembre 1976, cinq kilos de dynamite soufflent l’appartement familial à Paris. Marine Le Pen a huit ans. Elle se réfugie avec sa sœur Marie-Caroline, la cadette, sur le lit de l’aînée, Yann et elles prient. « Cet attentat, et plus encore la façon dont la famille vit la suite, a transformé la petite Marine Le Pen. C’est ici que naît le besoin de faire corps avec son père contre l’adversité et l’injustice », écrivent Caroline Fourest et Fiammetta Venner dans leur enquête fouillée sur la présidente du Front national. Neuf ans plus tard, le départ soudain de sa mère, Pierrette, renforcera s’il le fallait le lien, le « contrat moral » entre le père et la fille : « Même si c’est un peu lourd à porter parfois, je n’ai jamais rué dans les brancards, ni remis en cause les engagements paternels », a confié Marine Le Pen dans un livre de souvenirs. Les deux auteures en déduisent, exemples à l’appui, que la « dédiabolisation » du FN, la prise de distances avec certains propos de Jean-Marie Le Pen, relèvent autant de la stratégie de conquête de l’opinion que de l’instinct maternel : l’héritière « refuse de voir ses trois enfants endurer ce qu’elle a traversé ». « L’un de ses moteurs intimes consiste à réhabiliter le nom du père », insistent les deux enquêtrices. « Cela suppose de réécrire l’histoire du Front national, de façon à faire croire que l’opprobre n’était dû qu’à un malentendu voire à des machinations, ourdies par une élite menteuse et obsessionnellement anti-FN ».

« Elle navigue à vue comme son père, selon les vents porteurs »

Dans la « petite royauté » d’extrême-droite, Marine Le Pen a hérité de la couronne mais aussi du savoir-faire de l’ancien souverain, notent ses deux biographes : « Elle navigue comme lui. À vue et selon les vents porteurs. L’époque décidant des opportunités à saisir ». Pièce par pièce, Caroline Fourest et Fiammetta Venner démontent le discours prétendument nouveau du Front national et relèvent ses nombreuses contradictions, de même que la réalité de certains de ses militants, ceux qu’on prend soin comme les skinheads de cacher dans les manifestations. Sans parler de ses récents soutiens, de Robert Ménard à Roland Dumas. La reine est nue. Au terme de leur contre-plongée, nourrie d’anecdotes et de témoignages, les deux universitaires considèrent que le FN n’est décidément pas « un parti comme les autres ». Si Marine Le Pen est devenue le phénomène politique qui pourrait bousculer l’élection présidentielle de 2012, elle le doit à sa personnalité et à sa manière de manier l’opportunisme « à double sonorité : laïque et républicaine, côté face, mais nationaliste et xénophobe côté pile ». Même si elle semble en perte de vitesse dans les sondages, elle n’en reste pas moins inscrite, pour longtemps, dans le paysage politique : « ce qui n’a rien de surprenant dans un pays qui vieillit, se sent submergé par la mondialisation et si impuissant face à la crise financière », notent les auteures qui se font bizarrement militantes, à la fin de l’ouvrage, en alignant des moyens de riposte au « nouveau FN ». Un addendum qui n’était sans doute pas utile, le lecteur étant à même de se faire lui-même une opinion, tout au long des 400 pages du dossier. Il vire même au simplisme quand Fiammetta Venner et Caroline Fourest tentent de « responsabiliser les électeurs FN » : « Ceux qui choisissent de voter FN ont la flemme et une pointe d’infantilisme dans le cœur. Il faut être un grand enfant pour croire que l’on peut tout avoir : la sécurité d’un État fort et payer moins d’impôt, l’immigration zéro et la retraite à 60 ans ». Marine Le Pen, dans ses meetings, n’a plus qu’à reprendre leur phrase, pour en faire un effet de tribune ! Dommage, car l’enquête qui précède est impitoyablement sérieuse.

Michel VAGNER

« Marine Le Pen », de Caroline Fourest et Fiammetta Venner, Grasset, 430 pages, 20 €.

Bio express

Caroline Fourest : éditorialiste au Monde, âgée de 35 ans, elle est diplômée de l’École des hautes études en sciences sociales. Elle a écrit plusieurs livres dont un sur Tariq Ramadan.

Fiammetta Venner : 39 ans, elle est docteur en sciences politiques. Avec sa collègue, elle a fondé la revue « ProChoix » et enquêté sur les antiPacs et les nouveaux soldats du pape.

http://www.estrepublicain.fr/fr/france-monde/info/5178865-Marine-Le-Pen-un-livre-sur-sa-face-cachee