1984

1984

de Georges Orwell

Bonjour à tous ! Comme je l'ai fait pour Le meilleur des mondes, je présente aujourd'hui 1984, bien que, je pense, beaucoup l'aient déjà lu. Tout comme le livre de Huxley, celui d'Orwell met en scène une société dystopique et totalitaire, mais il y a quand même des différences non négligeables avec Le meilleur des mondes.

Présentons un peu cet univers : le XXe siècle, après 1945, a vu la montée en puissance d'une "élite" (intellectuels, professeurs, politiques, savants, bureaucrates, industriels, syndicalistes,...) s'inspirant du socialisme marxiste, et créant un super-état regroupant l'Amérique, l'Australie, l'Angleterre et l'Afrique du Sud : l'Océania. Une évolution similaire eut lieu dans le reste du monde développé, donnant naissance à deux autres puissances : l'Eurasia (Europe + Russie) et l'Estasia (Extrême-Orient). Ces trois puissances se livrent une guerre permanente, mais qui n'évolue jamais réellement, sans victoires ni défaites décisives qui pourraient permettre à une puissance de prendre l'ascendant sur les deux autres. Les territoires vierges de l'Afrique, du Moyen-Orient et de l'Inde sont l'objet sont disputés par les "Trois", les populations autochtones y étant employées comme des esclaves quel que soit le vainqueur. Bien que leurs idéologies portent des noms différents (Angsoc en Océania, Néo-bolchevisme en Eurasia et Culte de la Mort en Estasia) elles sont strictement identiques.
La société est collectiviste et prétendument égalitaire, mais en réalité les membres du "Parti" ont un meilleur niveau de vie que les "prolétaires" qui vivent dans la misère des bas-quartiers. Les classes populaires (bien que la notion de classe ait été abolie) sont toutefois laissées plus ou moins à elle-mêmes, alors que les membres du Parti sont soumis à une étroite surveillance.
Il s'agit d'un Etat policier d'une puissance inouïe : chaque citoyen est surveillé 24h/24, où qu'il soit, où qu'il aille. Ses moindres faits et gestes sont scrupuleusement analysés et interprétés. La Police de la Pensée peut frapper partout et à n'importe quel moment, vous arrêter puis vous conduire dans les souterrains du "Ministère de l'Amour" où vous êtes soumis à la question, torturés, forcés d'avouer des crimes que vous n'avez pas commis, puis exécutés. Le Parti semble omniscient et omnipotent.
Un culte de la personnalité est voué à Big Brother, celui qui apparaît comme le maître de l'Océania. La religion a disparu. La famille aussi : le sentiment amoureux et le désir charnel sont bannis, les enfants sont incités à dénoncer leurs parents et à les espionner constamment. La langue est systématiquement épurée, débarrassée des termes jugés obsolètes, inutiles ou dangereux, et remplacée par la "novlangue". Le passé est falsifié ou détruit, texte par texte, photo par photo, monument par monument, au point que les gens pensent que le monde commence avec le Parti, qu'il n'y a rien pu avoir avant.
Sont érigés en principes fondamentaux :
"La guerre c'est la paix,
la liberté c'est l'esclavage,
l'ignorance c'est la force".
Enfin, pour canaliser toute frustration, le Parti entretient et attise la haine contre l'Ennemi (que ce soit l'Eurasia et l'Estasia) et contre la Fraternité, une conspiration secrète menée par Goldstein, un ancien membre du Parti.

Je vais mettre en valeur certains points que j'ai jugé importants à retenir.

* Le rôle de Goldstein. Goldstein, dans la société de 1984, c'est l'Ennemi absolu. Ancien membre du Parti, il l'a trahi pour fonder la Fraternité, et cherche à renverser le Parti, et aurait des liens avec l'Eurasia. Bref, espion, traître et terroriste. Pourtant, le Parti montre régulièrement la figure de Goldstein et ses discours, afin de susciter l'hostilité de la population contre lui... et le soutien, du coup, au Parti. Les gens se disent "Mon Dieu quel cochon que ce Goldstein ! Heureusement, Big Brother est là pour nous protéger des méfaits de Goldstein et des hordes eurasiennes qui menacent de nous envahir." A la fin du livre, on en vient même à se demander si Goldstein et la Fraternité ne sont pas une invention du Parti lui-même.
Cela me fait beaucoup penser au drôle de jeu auquel jouent les Etats-Unis vis-à-vis de l'Islam radical en Orient, le désignant comme ennemi numéro Un de l'Occident mais le soutenant partout et l'aidant à prendre le pouvoir partout.

* la guerre continue. Un point qui renvoie au précédent : l'entretien d'un ennemi commun. La guerre entre l'Océania, l'Eurasia et l'Estasia est éternelle. Les combats sont certes d'une violence inouïe, mais jamais décisifs. Ils ont toujours lieu dans ces no man's land que sont l'Afrique et le Moyen-Orient, mais jamais une armée ne parvient à entrer dans le territoire adverse. Comme s'il y avait un accord tacite entre les Trois, comme si elles avaient toutes intérêt à garder cette situation stratégique, et à rester en état de guerre. Le Parti entretient l'hostilité contre ces deux puissances, afin que la population dévie sa colère sur l'ennemi extérieur plutôt que contre ses dominateurs. On comprend maintenant pourquoi les Trois ont intérêt à ce que cette guerre dure éternellement.
Ca nous renvoie à la désignation permanente, depuis 1945 et la montée en puissance des USA, d'un "ennemi de l'Occident". Hier, c'était le communisme (nous, la démocratie, la liberté, la prospérité, contre eux, la misère et la tyrannie), aujourd'hui c'est l'Islam (nous, les droits de la femme, le progrès, contre eux, l'obscurantisme et le fanatisme)...demain, sans doute nous ressortiront-ils le péril jaune ?

* modification de la langue. La novlangue consiste à réduire au maximum le nombre de mots et à être le plus concis possible : bienpensant, nonêtre, crimepensée... de nouveaux mots sont inventés. Les mots "honneur", "justice", "amour", "religion", etc. ou tout mot jugé dangereux pour l'idéologie du Parti est effacé.

* falsification de l'Histoire. Le Parti procède se livre quotidiennement à une destruction et une modification du passé. Toutes les photos compromettantes sont détruites ou modifiées. Tous les livres et discours sont réécrits. Les noms de rue changés, les édifices détruits. Aucune trace du passé ne doit subsister si elle ne correspond pas à la version historique du Parti.
Cette falsification du passé nous renvoie au fait que, ne l'oublions pas, l'Histoire est écrite par les vainqueurs. L'Histoire des Lumières, de la Révolution, de la colonisation, des guerres mondiales, du 11 septembre... n'oublions jamais que la version de l'Histoire qui est servie est celle qui correspond à ce que veut l'idéologie dominante (ou du moins, qui ne gêne pas l'idéologie dominante).
Jusqu'à un certain fait historique dont il est interdit de débattre depuis la promulgation d'une loi en 1992... mais je n'irais pas plus loin par peur que certaines idées (certes les miennes mais pas forcément celles de tous) soient assimilées au reste du FN.
Mais bon, comme le répètent inlassablement les membres du Parti : "2 et 2 font 5 !".

Vous vous demandez sûrement maintenant quel livre ai-je préféré entre Le meilleur des mondes et 1984 ?
J'ai préféré le premier.
Non pas que celui d'Orwell soit un mauvais livre (vous avez pu voir qu'il regorge d'éléments intéressants), mais j'ai trouvé celui de Huxley plus complet, et plus cohérent aussi.
Ainsi, on ne comprend pas la lucidité de Winston (protagoniste de 1984) sur le Parti. On n'en comprend pas la raison. Pourquoi lui, et pas d'autres ? Tandis que dans Le meilleur des mondes, l'esprit critique de Bernard et de Helmut s'explique par leur sentiment de différence, de décalage. Bernard est "sous-développé", une erreur de manipulation lors de son développement l'a rendu chétif, avorton, timoré (alors que tous les Alphas sont grands et athlétiques), et son sentiment de "rejet" l'a poussé à la réflexion ; pour Helmut, c'est au contraire le fait d'être "sur-développé", d'être plus intelligent, plus cultivé, plus doué que la normale, qui lui a donné ce sentiment de décalage par rapport aux autres.
Mais surtout, dans 1984, on a affaire à une dictature "bête et méchante". Un tel régime policier, aussi féroce et puissant soit-il, n'est plus possible en Occident, car il serait rapidement identifié comme tel. Il est oppressif et répressif...
...alors que je pense qu'une dictature qui voudrait se maintenir durablement chercherait au contraire à être particulièrement permissive.
En effet, la société du Meilleur des mondes est tout aussi totalitaire que celle d'Orwell, à la différence qu'elle est, contrairement à cette-dernière, libérale et libertaire. Une société de consommation, de la jouissance et du divertissement dans tout ce qu'elle a de plus aliénant. La population a l'illusion d'être libre, puisqu'elle peut acheter, se distraire, et qu'elle ne voit pas de policiers à chaque coin de rue. Et pendant ce temps, l'oligarchie qui règne sur ce monde a les mains libres. Et elle parvient à se maintenir au pouvoir sans l'aide d'aucune Gestapo. Comme disait l’empereur Auguste, qui avait déjà tout compris à l'époque : "Du pain et des jeux !"
Toutefois, j'admets que 1984 est plus sombre, et plus "dérangeant".
Donc deux livres à lire, avec une préférence pour Le meilleur des mondes pour ma part.